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Polygonatum : le sceau de Salomon

Le phytonyme polygonatum désigne, dans l’Antiquité, des plantes différentes. Pline et Dioscoride évoquent les plantes ainsi désignées : le naturaliste romain évoque deux fois la plante, au livre XXII, puis au livre XXVII. Dans le premier de ces deux passages, Pline associe le polygonaton à d’autres noms de plantes comme leucacantha, phyllos, ischas en les donnant comme équivalents pour désigner le même végétal. Dans son dictionnaire ds noms de plantes, Jacques André estime qu’il s’agit à ce point du texte de Pline d’un chardon pour lequel il propose cirsium tuberosum, ou Cnicus tuberosus. Pline, dans une section du texte souvent malmenée par la transmission manuscrite, mentionne surtout les propriétés thérapeutiques de la plante, présentée comme vulnéraire et calmante, notamment pour les douleurs dentaires. Au livre XXVII, le nom polygonatum est associé au nom Polygonum, ce qui se conçoit facilement si l’on prend en compte l’effet de quasi identité entre les deux, bien qu’il s’agisse de plantes différentes. Pour ce Polygonum que Pline dit être quelquefois nommé Polygonatum, on apprend qu’il s’agit d’une plante rampante (non attolitur a terra), qu’elle a des feuilles semblables à celles de la rue (foliis rutae) et qu’elle ressemble au chiendent. Sur le terrain de ses propriétés médicinales, le naturaliste romain signale qu’elle est hémostatique, cicatrisante et vulnéraire. Les deux plantes mentionnées par Pline sont ensuite reprises, comme cela est fréquent, dans la littérature pseudépigraphique de la fin de l’Antiquité; Carmelia Opsomer le signale dans le Dioscoride lombard qui est une traduction latine et dans les lexiques médiévaux. Jacques André mentionne aussi une attestation dans le CGL.

Chez Dioscoride, le phytonyme polygonaton apparaît deux fois, aux livres III et IV. Le passage du livre IV décrit la plante, présentée comme un arbrisseau, avec des feuilles de laurier. Le goût est celui du coing ou de la grenade. Surtout, c’est dans ce passage que Dioscoride mentionne les deux usages principaux de ce végétal : il est vulnéraire, appliqué en cataplasme et enlève des tâches sur le visage, ce qui fonde un usage cosmétique. C’est cette plante qui est le sceau de Salomon ou, selon son nom latin linnéen polygonatum verticillatum. On la retrouve aussi dans la pharmacopée médiévale, par exemple dans le circa instans dont l’édition donnée par François Avril et Pierre Lieutaghi atteste sans aucun doute possible l’identification au sceau de Salomon, en se fondant à la fois sur les indications thérapeutiques données par le texte et par une illustration somptueuse dans le témoin considéré. Toutefois, c’est sous le nom de Sigillum Sanctae Mariae que la plante apparaît.

Comme on pouvait s’y attendre, cette incertitude sur la détermination du végétal désigné sous le nom de polygonatum devait amener de nombreux débats à la Renaissance, même si les problèmes posés sont légers au regard de ce que l’on constate pour de nombreux autres végétaux. Plante commune des montagnes, le sceau de Salomon apparaît très couramment dans les herbiers imprimés de la Renaissance dans des notices où l’on retient ses deux usages courants en thérapeutique : il est vulnéraire et sert à fabriquer une eau pour nettoyer le visage des dames, par distillation. Dodoens, comme Fuchs, distingue deux sortes de polygonatum, en distinguant celui qui présente des feuilles étroites et celui que caractérisent des feuilles plus larges. Selon leur orientation principale (médicale vs agronomique), les textes de la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle apportent des informations complémentaires sur cette plante. En compilant les informations offertes par les différents naturalistes, on peut établir la synthèse suivante:

  • La liste des noms vernaculaires utilisés pour désigner ce végétal est assez constante et elle est reprise par nombre de savants de la Renaissance : On retient couramment les noms suivants : sceau de Salamon, ou Signet de Salomon; l’équivalent latin, Sigillum Salomonis, est la désignation courante dans les officines selon Dodoens. Pour les autres langues, ce sera Frassinella ou Ginocchietto en italien, Weyszwurtz en allemand. A l’inverse de ce qu’on constate dans le Circa Instans, Diderot distingue nettement le Sigillum Salomonis, du Sigillum Sanctae Mariae. Cette seconde dénomination est plus rare que le nom de Sceau de Salomon. Il ne me semble pas impossible qu’elle constitue une résurgence du savoir médiéval sur les plantes. Elle apparaît aussi dans l’herbier de Brunfels Diderot pense que le nom de Sigillum Sanctae Mariae désigne la bryone noire.
  • La description de la plante met l’accent sur différents aspects qui constituent dans la botanique de la Renaissance des éléments de discrimination morphologique suffisants. La forme de la fleur conduit Poinsot, au XVIIe siècle, à ranger le sceau de Salomon dans la famille du muguet, même si ce rapprochement est loin d’être constant. Le même Poinsot, dont le but est d’aider les jardiniers, explique que la multiplication de la plante peut être réalisée par la division des racines.
  • Tournefort, au XVIIe siècle distingue pour sa part nettement polygonum et Polygonatum. Le premier désigne une plante rampante, acaule où l’on peut voir la renouée des oiseaux.
  • Les indications relatives à l’usage du sceau de Salomon en pharmacopée sont relativement constantes. On lui reconnaît des propriétés vulnéraires, cicatrisantes et cosmétiques. Seul Dodoens précise que l’administration du sceau de Salomon par voie interne est déconseillée. S’agissant de son utilisation cosmétique, elle amène plusieurs recettes jusqu’à la pharmacopée de Nicolas Lémery. Toutefois, Nostradamus n’en fait pas état dans son traité des fardements.

Ce relatif consensus signifie-t-il que tout le monde est d’accord sur la détermination et les usages de ce végétal?

Pietro Andrea Mattioli fin bretteur des controverses savantes du XVIe siècle nous explique cependant que ce n’est pas le cas. Sa critique concerne moins les usages ou les noms connus que les confusions entre des plantes souvent rapprochées, mais à tort. Remarquons d’abord que, d’une façon assez exceptionnelle, Mattioli avoue ne paothomariens connaître l’origine des noms vernaculaires “signet de Notre-Dame”, “Signet de Salomon” ou “Genouillet”. Sa critique concerne plutôt la confusion entre le Secacul décrit par les médecins arabes et le Sceau de Salamon. Le rapprochement, selon Mattioli, provient d’une erreur d’appréciation de Giovanni Manardo; c’est bien possible, mais on pourrait lui rétorquer que cette erreur est alors partagée par d’autres savants, parmi lesquels au moins deux des trois pères allemands de la botanique moderne : Otto Brunfels et Jerome Brunschweig.

Plus intéressante est la méthode même de dissection de l’erreur : Mattioli défait le rapprochement avec les médecins arabes (Sérapion, Mésué, Avicenne), en prenant appui sur la description des textes arabes eux-mêmes qu’il lit en latin, comme la très grande majorité des savants de son temps. Les médecins arabes ont donné une description assez précise du secacul qui ne saurait coincider avec celle du Sceau de Salomon.

Manardo n’est pas le seul à se tromper sur le Sceau de Salomon : dans un autre chapitre, Mattioli évoque une autre erreur de détermination, imputable cette fois au médecin français Jean Ruel. Mattioli commence par évoquer la (relative) polysémie du terme polygonatum. Outre le Sceau de Salomon dont il a été question, le terme, selon lui, peut aussi désigner un autre végétal qui n’est pas non plus le secacul des Arabes. Ecoutons ce que dit Mattioli, au chapitre du cyclamen :

Toutesfois Ruel asseure que c’est cett plan que les herboristes appellent vulgairement Sigillum Sanctae Mariae, le seau de Nostre Dame. Et combien qu’il y ait plusieurs herbes que les Barbares appellent de ce nom, assavoir, le polygonatum, qu’on nomme Sigillum Salomonis, le Secacul de Serapion, ceste persicaire qui est semblable au poivre aquatic, Ruel ne prend aucune d’icelles pour le cyclaminus, ains un’autre bien differente, laquelle ainsi qu’il la dépeint ne peut estre autre herbe que la vigne noire décrite par Dioscoride au 4. livre que nous apelons en nostre vulgire tuscan Tamaro, et dit qu’elle est nomme Sigillum sanctae Mariae, à raison que les Arabes l’appellent Bothomarien, non pas la seconde.

Pietro Andrea Mattioli, Les Commentaires de M. Pierre André Matthiole … sur les six livres de P. Dioscoride de la matière medecinale, 1572, p. 348.

La remarque de Mattioli qui identifie ce sceau de Notre-Dame à la bryone noire est du reste approuvée par d’autres naturalistes, parmi lesquels Amatus Lusitanus, dans le commentaire qu’il donne de l’oeuvre de Dioscoride. Il est vraisemblable que c’est dans le souvenir de ces textes de la Renaissance que Diderot puise ses propres informations

Du reste, non content de décrire bien une plante qui n’est pas celle que Mattioli commente, certains des médecins arabes ont aussi donné des indications sur l’origine de ce végétal qui, selon eux, provient de l’Inde. Là où les médecins italiens de l’école de Ferrare avaient tendance à donner la priorité à la contestation de la médecine arabe, Mattioli suggère que ce sont leSubtilement, et avec un peu d’ironie, il souligne les conséquences fâcheuses d’une telle confusion :

“Le secacul selon les Arabes est bon pour augmenter le sperme, et provoquer à luxure. En quoi plusieurs se sont trouvés bien trompés, qui suivans l’opinion fause de Manard, on mangé de bon appetit des racines de genoillet confites en succre pour plus s’émouvoir à luxure sans aucun effet”.